Prêter attention à l’attention
Nous ne prêtons généralement pas attention à l’attention sauf lorsqu’elle est prise en défaut. C’est en effet lorsque nous ne parvenons pas à la mobiliser ou lorsqu’elle reste coincée sur des pensées et émotions inconfortables, que nous prenons conscience de son importance, de son utilité et de ses pièges.
L’attention est un processus fondamental qui permet d’orienter nos actions. Elle opère le plus souvent à notre insu, de manière automatique, sans que nous ayons besoin de le décider. Nous parlons alors d’attention involontaire.
Nous avons cependant la possibilité de diriger volontairement notre attention vers des buts que nous nous fixons. Nous parlons alors d’attention dirigée.
Ne pas parvenir à diriger notre attention est parfois lourd de conséquences. Pour mieux parvenir à mobiliser notre attention quand nous en avons besoin, il est important de prendre soin de nos capacités attentionnelles. Les cultiver, les protéger et les utiliser judicieusement sont des clés de bien-être d’efficacité.
Qu’est-ce que l’attention ?
Aux origines de l’attention
L’attention s’appuie sur les facultés de sentir et de détecter, faculté dont disposent tous les êtres vivants depuis leur apparition sur terre (Damasio, 2021) Ces capacités sont à la base des comportements d’approche ou de retrait.
En orientant nos comportements, l’attention permet :
- de favoriser la vie, en nous connectant aux opportunités : nourriture, reproduction, coopération, exploration…
- de favoriser la survie, en repérant les signaux de menace ou de déséquilibre : un danger potentiel, un bruit inhabituel, une douleur, une tension émotionnelle.
Définition
L’une des meilleures définitions de l’attention, très fréquemment utilisée encore aujourd’hui, nous a été fournie il y a plus de 130 ans par William James. Voici ce qu’il écrit en 1890 dans son ouvrage réédité (James, 1995) « les principes de la psychologie » :
L’attention est la prise de possession par l’esprit, sous une forme claire et vive, d’un objet ou d’une suite de pensées parmi plusieurs qui semblent possibles […] Elle implique le retrait de certains objets afin de traiter plus efficacement les autres.
Retenons de cette définition deux propriétés importantes, à l’œuvre aussi bien dans les processus d’attention involontaire que d’attention dirigée :
- L’attention est sélective: elle permet de s’orienter vers les stimuli pertinents
- L’attention est exclusive: sélectionner un objet c’est exclure tous les autres objets
La troisième propriété implicite de cette définition se rapporte à l’attention dirigée. Elle implique la notion de choix parmi « les possibles ».
- L’attention est volontairement mobilisable: elle permet d’opérer des choix conscients.
À quoi sert l’attention ?
L’attention est le fil conducteur de notre activité mentale. Elle nous permet de :
- Sélectionner les informations pertinentes.
- Réguler nos émotions
- Apprendre, planifier, résoudre des problèmes.
- Être présent à ce que nous vivons.
Les composantes neuronales de l’attention
L’attention n’est pas une sorte de tâche instantanée et unique qui mobiliserait une région précise de notre cerveau. Il faut plutôt la concevoir comme un processus, fait de plusieurs composantes.
Ce processus fait appel à des circuits neuronaux et régions de notre cerveau qui seraient organisés en trois systèmes (Posner & Petersen, 1990) :
- Le système d’alerte, qui nous prépare à réagir
- Le système d’orientation, qui dirige notre focus vers un stimulus particulier
- Le contrôle exécutif, qui permet de maintenir ou déplacer volontairement l’attention selon nos objectifs
Pourquoi l’attention est-elle exclusive ?
Nous avons souvent l’impression que nous sommes capables de diriger notre attention sur plusieurs objets à la fois mais ce n’est qu’une impression. En réalité notre attention alterne entre les différents objets que nous voulons traiter.
L’illusion du multi-tâches est entretenue par le fait que la plupart des actions que nous effectuons sont automatisées, notamment grâce à nos apprentissages. Elles ne requièrent plus réellement notre attention. Observons donc que si l’attention est nécessaire aux apprentissages, les apprentissages une fois maitrisés libérerent des capacités attentionnelles grâce aux automatismes acquis.
Il est probable que l’exclusivité de l’attention ait été retenue par l’évolution afin de rendre les processus qu’elle induits les plus efficaces possibles au regard de la préservation de la vie. Une hypothèse complémentaire est que le maintien de l’attention constitue un effort cognitif important et qu’il est donc trop couteux de la porter simultanément sur plusieurs objets.
Les automatismes et l’exclusivité de l’attention semblent agir de pair pour limiter la fatigue mentale.
Les dérèglements de l’attention
Lorsque les processus attentionnels fonctionnent correctement l’attention est dirigée et maintenue là où nous le voulons, quand nous le voulons et aussi longtemps que nous en avons besoin.
Ce n’est pas toujours le cas et c’est alors qu’il est possible de parler de dérèglement de l’attention. Ces dérèglements sont de deux types que nous pourrions résumer ainsi : « pas assez d’attention » ou « trop d’attention ».
L’attention dispersée : pas assez d’attention
Définition
Le premier type de dérèglement concerne les situations dans lesquelles une personne ne parvient pas à fixer durablement son attention sur l’objet de son choix. Elle ne peut pas inhiber suffisamment les distractions qui se présentent à son esprit ou dans son environnement. L’attention se disperse. Dans les cas les plus sévères la difficulté à se concentrer constitue un véritable « trouble de l’attention ».
L’attention est une ressource convoitée
Savoir maintenir son attention résulte de l’éducation, des apprentissages et d’une composante génétique. Nous ne sommes donc pas égaux dans nos capacités attentionnelles.
Observons en outre que dans les environnements modernes les sollicitations se sont multipliées. L’attention est devenue une ressource particulièrement convoitée pour servir des intérêts essentiellement économiques. Rappelez-vous cet aphorisme d’un patron de chaine de télévision qui disait avec un certain cynisme que son métier consistait à « vendre du temps de cerveau disponible ».
C’est encore plus vrai aujourd’hui. Notifications, réseaux sociaux, plateformes de streaming, médias sous toutes leurs formes : tout est conçu pour capter notre attention et in fine c’est le plus souvent destiné à nous faire davantage « consommer ».
La captation de notre attention a de nombreuses conséquences délétères : baisse de productivité, fatigue mentale accrue, perte de motivation, procrastination et également vulnérabilité au stress.
L’hyper-sollicitation de notre environnement moderne nous « vole » dans l’instant la ressource rare que constitue notre attention. Dans la durée elle fragilise notre capacité à nous concentrer sur ce qui compte pour nous.
L’attention coincée : trop d’attention
Définition
Le second type de dérèglement concerne les situations où l’attention d’une personne est mobilisée de manière excessive sur un objet ou une pensée inconfortable. L’attention est en quelque sorte « coincée » dans l’inconfort ce qui empêche la personne d’avancer mentalement et parfois physiquement. Les ruminations, les phobies, les douleurs chroniques ou encore les troubles obsessionnels ont cette capacité d’enfermer la personne dans son inconfort.
Une réponse « normale » à la souffrance et aux menaces
Comme tous les êtres vivants nous sommes programmés pour éviter ou pour combattre ce qui nous menace et ce qui nous fait souffrir. Fruit d’une formidable évolution notre cerveau est une machine à trouver des solutions. Notre attention est parfois tout entière captée à cette fin au point de ne plus pouvoir être mobilisée pour d’autres buts. Porter son attention sur ses souffrances mentales et physiques ne fait hélas que les maintenir ou pire encore, les renforcer.
Comment prendre soin de son attention
Dérèglement pathologique … ou pas
Si la qualité de vie est lourdement altérée en raison de dérèglements de l’attention, il est évidemment recommandé en première intention de travailler avec un thérapeute.
Observons cependant que la plupart des dérèglements de l’attention ne présentent pas de caractère pathologique. Ils sont juste inconfortables. Ils nous donnent le sentiment de ne pas pouvoir être aussi efficaces que nous le souhaiterions.
Que les perturbations de l’attention soient pathologiques ou juste inconfortables, il existe plusieurs moyens de les apaiser, de les atténuer et de s’en prémunir.
Musclez votre attention
Il est tout à fait possible de développer sa capacité à mobiliser son attention. C’est un entrainement comme un autre dont l’efficacité se fonde sur une pratique régulière.
Vous pouvez par exemple réaliser des exercices de pleine conscience ou certaines formes de méditation. Dans ce type d’exercice vous choisissez un objet d’attention dans votre corps ou dans votre environnement et vous l’explorez sous toutes ses facettes sensorielles. Vous apprendrez alors à ramener votre attention sur cet objet chaque fois que vos pensées partiront ailleurs et que vous le remarquerez. Ce va et vient tranquille entre attention dirigée et vagabondage mental renforcera votre capacité attentionnelle et vous aidera à mieux vous connecter à l’instant présent.
Saisir toutes les opportunités de se connecter au présent, en pleine conscience pendant quelques minutes, dans les petits moments de la vie quotidienne, est aussi un excellent moyen de muscler son attention.
Organisez votre environnement
Face à l’ingéniosité et à l’abondance des sollicitations destinées à capter notre attention, il est possible de mettre en place des mesures simples pour se protéger de la distraction.
- Définissez clairement ce sur quoi vous voulez porter votre attention et ce vers quoi vous ne voulez pas qu’elle se dirige.
- Structurez vos activités en tâches successives
- Créez un environnement « coupé » des distractions les plus alléchantes.
- Faites des pauses régulières, d’un temps limité, au cours desquelles vous pourrez consulter vos messages, mails ou informations.
- Et surtout, prenez l’habitude d’observer ce qui vous distrait pour pouvoir plus facilement y échapper quand vous l’estimerez nécessaire.
Observez vos pensées
Nos pensées ne sont pas ce qu’elles disent qu’elles sont. Elles sont seulement des mots produits par notre cerveau, des histoires que notre esprit nous raconte. Elles ont pourtant le pouvoir, dans certaines circonstances, de nous maintenir dans l’inconfort. Elles nous hameçonnent, captent toute notre attention et restreignent de ce fait notre champ d’action.
La puissance de notre conscience nous permet d’observer nos propres pensées. Nous pouvons même observer que… nous sommes en train d’observer nos pensées.
Observer ses propres pensées permet donc de les mettre à distance, et de réorienter une attention « coincée » vers des buts plus utiles. Une manière très simple et très efficace de le faire, issue des thérapies d’acceptation et d’engagement (ACT) est de reformuler ses pensées en utilisant la formule : « mon esprit/ma tête est en train de me dire que… ».
Conclusion
L’attention est un processus difficile à appréhender. Le plus souvent sa partie inconsciente, si essentielle au maintien de la vie est « out of scope ». Elle est abordée par la science principalement sous l’angle de l’attention dirigée volontairement et beaucoup moins dans celui de l’attention coincée. Ce sont portant les mêmes propriétés que celles définies par William James qui sont l’œuvre : sélectivité et exclusivité. Elles sont des contraintes. Les connaître et les comprendre permettent d’en tirer parti, d’en faire un levier d’efficacité.
Damasio, A. R. (2021). Sentir et savoir : Une nouvelle théorie de la conscience. Odile Jacob.
James, W. (1995). The principles of psychology : In two volumes. Vol. 1 (Facsim. of ed. New York, Henry Holt, 1890). Dover.
Posner, M. I., & Petersen, S. E. (1990). The Attention System of the Human Brain. Annual Review of Neuroscience, 13(1), 25‑42. https://doi.org/10.1146/annurev.ne.13.030190.000325

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