Notre amie la peur

Ecrit par Christian ASTRE

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Publié le 5 décembre 2023

Notre amie la peur

Parfois appelée mère de toutes les émotions, la peur est la base fondamentale de la survie et de l’évolution. Le langage l’a transformée. Elle peut désormais être mémorisée, enseignée ou imaginée. Pour le meilleur et pour le pire…

En préambule

Parfois appelée mère de toutes les émotions, la peur est la base fondamentale de la survie et de l’évolution.

Depuis l’apparition de la vie sur terre, nous partageons le processus de la peur avec tous les organismes vivants. Il gouverne inlassablement la physiologie permettant de faire face aux menaces de toutes natures.

Chez l’espèce humaine, les développements de la conscience, de la culture, de la mémoire et du langage, ont complexifié et diversifié ce comportement basique d’alerte et d’évitement.

Les peurs humaines qui ne résultaient initialement que d’une confrontation directe avec les menaces du monde réel sont désormais majoritairement déclenchées par des menaces prenant leur source dans notre monde mental.

Les peurs « mémorisées » lors des confrontations directes avec le réel restent actives et parfois vivaces une vie entière. Elles sont largement complétées par des peurs apprises ou imaginées, parfois étendues à nos proches ou encore à notre environnement.

Faisons davantage connaissance avec cette amie, afin qu’elle nous protège sans pour autant remplir les cabinets des psychologues.

L’inneité de la peur

Le processus de la peur est inné. Il met en jeu de manière successive trois composantes :

  • Une menace
  • Une capacité de l’organisme à détecter cette menace
  • Une capacité de l’organisme à faire face à cette menace

Les menaces innées

Les menaces détectées de manière innée par l’organisme sont des menaces du monde réel, c’est à dire des menaces perceptibles par les sens.

Les animaux ont généralement peur de manière innée de leurs prédateurs naturels. Chez les humains il serait plus juste de dire que nous naissons avec une prédisposition à avoir peur de certaines choses dans notre environnement naturel. C’est probablement le cas par exemple pour les araignées, les serpents, l’obscurité totale, le sang, ou encore le vide.

Si les humains n’ont conservé que peu d’objets innés de peur, nous sommes en revanche sensibles, sans qu’aucun apprentissage ne soit nécessaire, aux variations soudaines, imprévisibles ou inattendues de notre environnement. Il en va de même de ce que nous ne connaissons pas. Ce qui est non-connu est d’abord une menace qui génère par exemple la peur du changement, la peur de l’étranger ou la peur de la « différence ».

La capacité à détecter une menace

La détection d’une menace est également une fonction innée des organismes. Les perceptions sensorielles jouent le rôle d’un radar. Celui-ci « scanne » en permanence l’environnement pour y détecter les menaces qui s’y trouvent et pour lesquelles l’organisme est génétiquement programmé. Il détecte aussi les variations soudaines de l’environnement.

Chez les organismes les plus évolués, et en particulier chez ceux dotés d’un système nerveux central, ce qui est perçu est comparé en permanence à ce qui a été appris ou expérimenté. Cette comparaison, généralement inconsciente, permet d’évaluer les menaces potentielles sur une base comparative et probabiliste.

La capacité à faire face à une menace

Lorsqu’une menace a été détectée, l’organisme est alors physiologiquement préparé à faire face à la menace, principalement par la fuite ou le combat. C’est le fameux « Fight or Flight » issu des travaux de Walter Cannon.

Nous avons souligné précédemment que cette réaction d’alarme face à une menace était une réaction innée, consubstantielle à la vie qu’elle est chargée de protéger. Nous n’avons en effet pas besoin d’apprendre à la mettre en œuvre.

Hans Seyle, le « père » du concept de stress, a précisé que la réaction d’alarme des organismes face à l’agression par des agents nocifs était une réaction aspécifique. Autrement exprimé, elle est toujours la même quelle que soit la nature des agents nocifs impliqués.

 

Les peurs apprises

La puissance de l’apprentissage

Grâce à la mémoire, certains organismes sont devenus capables « d’apprendre » les menaces ainsi que les moyens de s’en protéger.

Chez certains animaux, notamment les mammifères, cet apprentissage est souvent guidé par les parents. Jusqu’à un certain stade de maturité les petits sont exposés, « sous protection », à des situations dangereuses ce qui leur permettra de les « apprendre » pour mieux s’en prémunir.

Cette capacité à apprendre, non pas la peur mais les menaces qui la déclenchent, atteint son maximum chez l’espèce humaine grâce à l’apparition du langage. Celui-ci va permettre d’enseigner les menaces sans confrontation directe avec l’expérience.

Ce formidable avantage évolutif qui permet d’anticiper les dangers a hélas son revers. Les peurs passées perdurent dans notre mémoire et réapparaissent. Il devient également possible d’avoir peur de menaces improbables, voire totalement imaginaires, mais que notre cerveau probabiliste considère comme réelles sous l’effet des conditionnements opérés grâce au langage et à toutes les représentations mentales.

Pire encore, le langage et les associations que notre mémoire effectue, finissent par rendre les mots en eux-mêmes menaçants. Il est possible d’avoir peur à la simple vue du mot serpent sans jamais en avoir rencontré…

Menaces d’un autre type

Les menaces se sont alors multipliées. Elles peuvent s’appliquer à nous-mêmes mais aussi à tous ceux que nous désirons protéger. Petit catalogue non exhaustif des menaces :

  • Les menaces physiques issues de notre propre expérience du monde réel : agressions, catastrophes, traumas, animaux, etc…
  • Les mêmes menaces physiques mais dans notre univers mental
  • Les menaces à l’image de soi
  • Les menaces sur nos ressources
  • Les menaces sur notre santé
  • Les menaces sur l’environnement ou sur le monde
  • Les menaces sur ceux que nous aimons

Quand les peurs de notre monde mental nous font souffrir

Au lieu de nous protéger, les peurs peuvent parfois devenir irrationnelles et envahissantes au point d’altérer gravement la qualité de notre vie. Voici une petite tentative de classement des peurs pathologiques.

Les peurs qui ont un objet précis

Elles sont généralement appelées phobies du grec Phobos qui signifie effroi.

  • Peurs d’objets ou d’animaux : araignées, insectes chiens, sang…
  • Peur de certaines situations : hauteur, ponts, espaces clos, transport en commun
  • Peur des autres : parler en public, aller à l’école

Les peurs à objets multiples

Il s’agit alors d’une inquiétude excessive et permanente, que l’on appelle anxiété, et qui dans les cas les plus graves deviennent une peur de tout. On parle alors d’anxiété généralisée.

Les peurs sans objet

Il s‘agit de manifestations physiologiques très fortes de la peur que l’on appelle attaques de panique, et qui surviennent de manière imprévisible sans qu’il soit possible d’identifier clairement une cause ou un contexte particulier. La caractéristique de ces attaques est qu’elles peuvent générer ensuite une peur de la peur. L’individu redoute de vivre à nouveau une attaque de panique et vit dans la peur de s’y trouver à nouveau confronté.

Les peurs revécues : le traumatisme

Il s’agit d’un type très particulier de peur. Son objet se situe dans le passé et est lié à un traumatisme qui resurgit de manière intrusive sous forme de flash-backs ou de rêves. Dans certains cas l’individu se retrouve dans un état dit de dissociation qui le coupe du présent et lui fait « revivre » le traumatisme comme s’il était actuel.

 

Observons enfin que ne pas pouvoir échapper ou réagir à une menace non vitale qui se répète, a des effets particulièrement délétères pour l’organisme. Citons à ce sujet les travaux réalisés dans les années 70 par Henri Laborit sur l’inhibition de l’action ou par Martin Seligman sur le concept d’impuissance apprise. Ces approches voisines et concordantes d’un biologiste et d’un psychologue éclairent aujourd’hui encore les conséquences pathologiques pour l’organisme de l’exposition à un stress chronique.

 

Pour que la peur reste notre amie…

Dans le monde réel il est parfois possible, grâce à la peur, de s’éloigner ou de combattre ce qui nous menace. Dans le monde mental il en va tout autrement.

Nous ne pouvons pas fuir, combattre ou supprimer nos peurs parce qu’elles sont faites de pensées, de souvenirs ou d’émotions. Vouloir les supprimer, s’en éloigner ou lutter contre elles ne semble avoir pour conséquence que de les rendre plus envahissantes encore.

Alors que pouvons nous faire pour que la peur ne soit pas notre ennemie ?

Reconnaître et accepter les peurs pour ce qu’elles sont

Nos peurs sont des histoires que notre esprit nous raconte et non pas la réalité de ce que ces histoires racontent. Apprendre à faire cette distinction est essentiel.

De très nombreuses approches psychocorporelles, notamment celles fondées sur la pleine conscience et la méditation, permettent de se placer en position d’observateur de ses propres pensées. Observer que l’on a peur est déjà bien différent que d’avoir peur.

L’exposition graduelle à nos peurs peut aussi nous enseigner qu’elles ne sont pas ce que nous croyons qu’elles sont.

Agir malgré les peurs

Si nous sommes inefficaces dans la lutte contre nos peurs nous ne sommes pas condamnés à l’inaction. Agir malgré sa peur, vers autre chose que sa peur, est un remède en soi. La conséquence est que notre vie peut alors davantage s’orienter vers ce que nous aimons et qui a de l’importance pour nous.

Nous ne pouvons pas apprendre à ne plus avoir peur mais nous pouvons apprendre à vivre avec.

Il est possible d’éprouver un trac immense et de devenir un artiste ou de parler régulièrement en public.

Ne pas nourrir les peurs

Aujourd’hui, les sources d’apprentissage des menaces se sont elles aussi multipliées. Nous baignons dans un océan d’informations. La peur constitue la base sous-jacente et bien souvent virale des médias et des réseaux sociaux. L’anxiété s’apprend sur son smartphone ou devant un écran.

A l’avalanche de mauvaises nouvelles s’ajoute un traitement souvent biaisé de l’information, de manière à rendre la plupart des informations inquiétantes. L’usage du « mais » et l’emploi du conditionnel sont dans ce domaine d’une redoutable efficacité.

  • Il fait beau mais ça ne va pas durer
  • Vous n’êtes pas obligés d’utiliser cette crème mais si vous ne le faites pas vous serez un looser
  • Personne n’a été blessé mais une minute plus tôt il y avait un car d’enfants qui passait
  • L’épidémie s’est arrêtée mais elle pourrait reprendre

Il est évidemment possible de réduire notre exposition à ces informations, de prendre l’habitude d’observer comment elles nous impactent et de nous montrer plus sélectifs pour privilégier la bonne distance.

Cultiver l’émerveillement et le présent

Les peurs font partie de la vie mais elles n’en sont qu’une partie !

La caractéristique des peurs mentalisées est de nous maintenir constamment hors du présent. Nous sommes en quelque sorte happés par ce qui pourrait arriver.

Se reconnecter à l’instant présent c’est redécouvrir que ce présent recèle aussi de la beauté et des merveilles. Autorisons-nous à les observer, à les savourer et à les faire durer.

 

Références

Henri Laborit , 1979, « L’Inhibition de l’action », Paris/New York/Barcelone, Masson & Cie, 1979

M E P Seligman, 1972, « Learned Helplessness », Annual Review of Medicine, vol. 23, no 1, p. 407–412

Walter. B. Cannon, 1929, « Bodily Changes in Pain, Hunger, Fear and Rage », New York, Appleton-Century Crofts

1 Commentaire

  1. Angélique Hugonnet

    Merci pour cette analyse complète et référencée 👍
    Se reconnecter d’avantage au présent, à l’ici et maintenant : nécessaire pour être d’avantage fonctionnel, avec des actions en direction de ses valeurs.
    Merci M. ASTRE pour ce rappel : remettre de la temporalité dans nos vies est essentiel à notre sentiment de sécurité intérieure

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