La place du sommeil dans notre société
Les humains ont longtemps tenu le sommeil pour un mystère, un mystère parfois inquiétant.
Dans la mythologie grecque, le dieu du sommeil Hypnos avait pour frère jumeau Thanatos, le dieu de la mort. Dormir c’était mourir un peu !
Depuis quelques décennies cependant le mystère se dissipe. Biologie, psychologie, médecine et neurosciences nous éclairent.
Nous savons désormais que dormir est aussi vital que manger et que les conséquences du mal-dormir sont aussi désastreuses que celles du mal-manger.
Pourtant il semble que plus nous connaissons le sommeil, moins nous nous montrons collectivement et individuellement capables d’en prendre soin.
Sans doute est-ce parce que l’organisation tout entière de notre société, avec ce qu’elle induit dans nos comportements d’élèves, de travailleurs ou de consommateurs, semble ignorer voire s’opposer à la nécessité de bénéficier d’un sommeil de qualité. Notre morale y contribue aussi en stigmatisant volontiers celui qui dort trop ou celui qui se lève tard. Celui qui dort serait paresseux !
Il en résulte que le sommeil n’est pas souvent considéré comme une priorité, ni en quantité ni en qualité, et que la fréquence des troubles du sommeil n’a jamais été aussi élevée.
Les patients que je rencontre pour cette raison dans ma pratique de psychologue et d’hypnothérapeute accumulent de nombreux facteurs personnels et sociétaux contribuant à ces troubles.
Ils viennent voir un psychologue parce qu’ils souffrent mais ils n’ont souvent qu’une vague idée des causes et plus encore des conséquences de la perturbation de leur sommeil. Il faut noter par ailleurs que ces patients qui consultent ne représentent qu’une petite partie des personnes qui dorment mal, parfois même sans en avoir conscience.
Cet article rassemble quelques unes des connaissances disponibles mais dispersées sur le sommeil, afin d’aider à comprendre l’importance de bien dormir, ce qui suppose de comprendre aussi ce que nous faisons pendant que nous dormons.
Je souhaite simplement favoriser la prise de conscience que le sommeil n’est pas une variable d’ajustement à l’emploi du temps mais plutôt un trésor à défendre…
Du sommeil d’enfant au mal dormir
Lorsque j’étais enfant la seule question qui me taraudait à propos du sommeil était : pourquoi n’ai-je pas le droit de rester un peu plus tard le soir pour regarder la télévision en famille ? Je ne savais pas encore qu’un enfant a besoin de bien plus de sommeil qu’un adulte.
Adolescent, la question sur le sommeil se transforma en : pourquoi ne me laisse-t-on jamais me coucher aussi tard que je le voudrais le soir et dormir autant que je le voudrais le matin ? Je ne savais pas que mon horloge biologique était décalée d’au moins deux heures par rapport à celle des adultes.
Dans mon existence d’adulte, le travail, mes habitudes de vie, mes écrans, la vie de famille et les enfants, ont progressivement grignoté mon temps de sommeil mais aussi sa qualité. Je me suis souvent réveillé fatigué et j’ai commencé à constituer ce que je croyais être une dette de sommeil. Comme psychologue je découvris que cette fameuse dette de sommeil portait bien mal son nom puisqu’il était impossible de la rembourser et que par ailleurs le prêteur était aussi l’emprunteur.
Le besoin universel de dormir
Si vous appartenez à la catégorie des mauvais dormeurs vous savez bien que le sommeil est une mécanique fragile et que le mal-dormir a un retentissement important sur votre performance, sur votre bien-être et sur votre vie sociale.
Il vous arrive alors peut-être de penser que ce serait bien de ne pas avoir besoin de dormir, que le sommeil ne soit qu’un plaisir auquel s’adonner quand on en a envie plutôt qu’une nécessité imposée par nos rythmes biologiques.
Malheureusement cette éventualité n’est qu’un rêve, un rêve « éveillé » évidemment !
Nous devons au professeur Allan Rechtschaffen, éminent psychologue américain spécialiste du sommeil, cette citation qui résume à merveille la place du sommeil dans le fonctionnement du vivant : « si le sommeil ne sert pas une fonction absolument vitale, il est la plus grande erreur que l’évolution ait jamais faite ».
Le besoin de sommeil est universel.
Il est possible d’affirmer aujourd’hui que sous une forme ou sous une autre, le sommeil est commun à tous les organismes vivants : bactéries, plantes, insectes, oiseaux, mammifères. Il s’agit d’une fonction innée nécessaire à la survie de toutes les espèces.
L’ingéniosité du sommeil dans le monde du vivant est d’ailleurs stupéfiante. Ses formes sont presque aussi diversifiées que les espèces elles-mêmes. Les formes et stratégies de sommeil ont été sélectionnées par l’évolution. Elles font partie intégrante des mécanismes de vie et de survie : horloges biologiques régulant la vie diurne ou nocturne, sommeil alterné, comportements adaptés au risque de prédation, à la niche écologique ou encore aux contraintes de reproduction.
L’organisation du sommeil
La question est de savoir ce que nous faisons quand nous dormons ou plus exactement de savoir ce que fait notre cerveau pendant tout ce temps passé à dormir, au risque d’éveiller chez les dormeurs en délicatesse l’arrière-pensée de « négocier » leur temps de sommeil.
- Est-ce qu’un peu moins de sommeil ne suffirait tout de même pas ?
- Raboter deux ou trois heures ne serait-il pas un bon compromis ?
- Certains individus dorment peu après tout ?
Je crains hélas de décevoir en bloc les insomniaques et les négociateurs.
Sans nier les éventuelles différences entre individus, gros ou petits dormeurs, lève-tôt ou couche-tard, ce qu’il faut retenir c’est que tout est bon dans le sommeil, ou plutôt que tout est nécessaire, la qualité tout autant que la quantité.
Cela est dû notamment au fait que le sommeil ne se déroule pas de manière homogène ni au cours de la nuit, ni au cours de la vie.
Comme vous le savez probablement déjà, le sommeil se compose de plusieurs phases qui vont s’assembler dans un charmant ballet tout au cours de la nuit : le sommeil léger, le sommeil profond et le sommeil paradoxal.
- Chacune de ces phases favorise des fonctions différentes et particulières du sommeil.
- Ces phases de sommeil sont regroupées en cycles d’une durée à peu près régulière mais dont le contenu varie selon le moment de la nuit. Il y a par exemple plus de sommeil profond en début de nuit et davantage de sommeil paradoxal en fin de nuit.
- Une nuit trop courte, par son début, par sa fin ou en raison de ses interruptions, empêche donc une partie du travail du sommeil de s’accomplir.
- La durée et la composition du sommeil varient aussi tout au cours de l’existence des individus, afin de leur permettre de s’adapter à l’évolution de leur biologie et aux besoins qu’elle génère.
Précisons enfin que parmi les mécanismes qui régulent notre sommeil, nous possédons tous une sorte d’horloge interne qui gouverne plusieurs de nos rythmes, dont celui du sommeil, autour d’une durée de 24 heures.
Il n’est ni judicieux ni agréable de contrarier cette horloge. La littérature scientifique abonde d’articles consacrés aux conséquences néfastes du travail dit « posté », c’est à dire impliquant des horaires décalés, ou du travail nécessitant des changements fréquents de fuseaux horaires, comme celui du personnel navigant.
A quoi sert le sommeil ?
Dormir ne se résume pas à une absence d’éveil. Notre cerveau profite de notre sommeil pour accomplir tout un tas de missions très importantes pour notre santé, notre bien-être et notre efficacité.
Le sommeil agit sur la mémoire
Le sommeil renforce nos capacités de mémorisation de nombreuses manières :
- Un bon sommeil favorise la mémorisation pendant la journée suivante
- Dormir permet de consolider les informations enregistrées pendant la journée précédant le sommeil
- Dormir permet d’oublier ce qui ne sert pas, ou plus exactement de trier et d’archiver les informations, afin que notre mémoire ne soit pas trop encombrée.
Le sommeil économise notre énergie et nous régénère
Nous dépensons très peu d’énergie pendant que nous dormons ce qui permet à notre organisme de se reposer : le système cardio-vasculaire ralentit, la tension artérielle baisse.
Certaines de nos cellules se régénérent comme par exemple celles de la peau.
Notre organisme fabrique des hormones importantes. C’est le cas notamment de celles qui interviennent dans la régulation de notre alimentation, prévenant ainsi la prise de poids ou le diabète.
Le sommeil nous permet de grandir et de bien vieillir
Pendant notre sommeil profond, nous produisons une hormone dite de croissance.
Cette hormone que nous produisons tout au long de notre vie permet effectivement de grandir, mais également d’assurer la capacité qu’a notre cerveau d’établir à tout âge de nouvelles connexions entre nos neurones (plasticité) . Elle favorise aussi la cicatrisation.
Pendant les phases de sommeil profond, le cerveau se nettoie grâce à des cellules spécialisées qui évacuent les déchets et il se répare, en raccommodant des éléments qui se détériorent avec le temps.
Ce travail essentiel permet de retarder les effets du vieillissement de notre cerveau.
Le sommeil renforce notre système immunitaire
… ce qui permet d’accroitre les moyens de l’organisme pour lutter contre de nombreuses infections ou maladies.
Le sommeil nous permet de rêver
Il reste encore beaucoup à découvrir sur les effets des rêves, qui ont lieu pendant la phase de sommeil paradoxal.
Nous savons cependant que les rêves nous font revivre et en quelque sorte digérer les événements chargés d’émotions. C’est une contribution importante à la qualité de notre régulation émotionnelle.
La période de sommeil paradoxal et les rêves favorisent notre créativité et notre capacité à résoudre des problèmes que nous n’avions pas su solutionner durant la journée.
Il est probable aussi que les rêves nous aident à intégrer les informations, à les ordonner, à leur donner du sens.
Pour finir
Le meilleur moyen de compléter ce bref survol de ce à quoi sert le sommeil serait de l’analyser sous l’angle de la question : que risque-t-il d’arriver si notre sommeil n’est pas de qualité ?
Je ne suis pas convaincu que l’avalanche d’informations négatives voire terrifiantes qui en découlerait, inciterait à modifier nos comportements. Les psychologues savent que l’agitation de peurs lointaines est souvent moins efficace que la réalisation de bénéfices immédiats, or il se trouve que ceux-ci sont rapidement atteignables : il existe de nombreux moyens d’améliorer son sommeil.
Je préfère donc et de loin délivrer ce message tout simple : prenez soin de votre sommeil et acceptez les efforts et adaptations que cela demande. Cela en vaut la peine car vous irez mieux tout de suite dans votre quotidien et vous protégerez votre santé pour longtemps.
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